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Publicité pour les idiots : L’art millénaire de réduire les femmes à un emballage

Sexisme et photographie publicitaire

La photographie, comme toute expression artistique et moyen de communication visuelle, n’est pas exempte de reproduire les stéréotypes et les inégalités présents dans la société. L’un des aspects les plus indignants — et urgents à éradiquer — est le machisme et le sexisme qui, pendant des décennies, ont colonisé l’image publicitaire sous le masque de la créativité. Cet article ne fait pas dans la demi-mesure : nous rassemblons et analysons certains des spots publicitaires les plus sexistes de tous les temps, véritables monuments au patriarcat visuel qui ont commercialisé de la cravate aux hamburgers, en passant par la vodka et les pneus, toujours au détriment du corps et de la dignité de la femme.




1. Van Heusen – « Montre-lui que c’est un monde d’hommes » (années 1950)


Un classique du mépris emballé dans un cellophane commercial. L’image montre une femme à genoux, servant docilement le petit déjeuner à son mari. Le message ? « Montre-lui que c’est un monde d’hommes ». Plus que de vendre des cravates, cette publicité voulait clairement montrer qui commande et qui sert dans la scène domestique.


« Montre-lui que c’est un monde d’hommes » (années 1950). Van Heusen
« Montre-lui que c’est un monde d’hommes » (années 1950). Van Heusen

2. Tipalet Cigarettes – « Souffle-lui de la fumée au visage et elle te suivra partout » (années 1970)


Un machisme déguisé en séduction. Cette publicité suggère que souffler de la fumée à une femme est une technique infaillible pour la soumettre. La femme, présentée comme un être sans volonté, à la merci du souffle d’un homme. Une pièce qui résume le mépris avec lequel l’image féminine a été historiquement conçue dans la publicité.


« Souffle-lui au visage et elle te suivra partout » (années 1970). Triple Cigarettes
« Souffle-lui au visage et elle te suivra partout » (années 1970). Triple Cigarettes

3. Mr. Leggs Pants – « C’est agréable d’avoir une fille à la maison » (années 1960)


Une femme littéralement transformée en tapis. Ce n’est pas une métaphore : la publicité la montre au sol, traînée par les chevilles. Peu d’images ont été aussi violemment explicites dans leur mépris envers la femme. L’objectification devient ici un brutal littéralisme.


« C’est agréable d’avoir une fille à la maison » (années 1960). Mr. Leggs Pants
« C’est agréable d’avoir une fille à la maison » (années 1960). Mr. Leggs Pants

4. Goodyear – « Si ton mari découvre un jour… » (1961)


Un pneu et un avertissement : « Si ton mari découvre… ». C’est ainsi que commençait cette campagne de Goodyear destinée aux femmes, avec un message clair et troublant : mieux vaut changer le pneu sans qu’il le sache. Car s’il le découvre, il y aura des conséquences.

Cette publicité ne se contente pas de renforcer l’idée que la femme est maladroite, incompétente ou étrangère au monde de l’automobile. Elle va plus loin : elle normalise la peur comme partie intégrante de la relation conjugale, suggérant que le contrôle masculin est une loi et que la punition est une issue prévisible.

C’est un portrait glaçant du rôle féminin dans la publicité de l’époque : passivité, obéissance et culpabilité. Et même si cela nous paraît caricatural aujourd’hui, ce qui est inquiétant, c’est que ce type de discours a longtemps fait partie du scénario commercial dominant.

Un pneu peut sauver des vies. Mais cette campagne — au contraire — valide une narration de soumission qu’aucune marque n’aurait jamais dû promouvoir.


« Si ton mari découvre un jour » (1961). Goodyear
« Si ton mari découvre un jour » (1961). Goodyear

5. Belvedere Vodka – « Contrairement à certaines personnes, Belvedere descend toujours tout en douceur » (2012)


L’image montre une femme tentant de se libérer tandis qu’un homme la tient par derrière. Le texte, « Contrairement à certaines personnes, Belvedere descend toujours tout en douceur », établit un parallèle inquiétant : ce que le vodka réussit, elle apparemment ne le fait pas.

Le message ne laisse aucune place à l’interprétation : il suggère une scène d’agression sexuelle, traitée sur un ton complice et humoristique. Ce n’est pas de la provocation. C’est une banalisation de la violence.

Transformer la résistance d’une femme en une blague pour vendre de l’alcool n’est pas seulement une mauvaise décision créative. C’est une grave faute d’éthique. Une campagne qui a franchi toutes les limites — et pas par audace, mais par irresponsabilité.


« Contrairement à certaines personnes, Belvedere descend toujours tout en douceur » (2012). Belvedere Vodka
« Contrairement à certaines personnes, Belvedere descend toujours tout en douceur » (2012). Belvedere Vodka

6. American Apparel – Plusieurs campagnes (années 2000)


Sous le masque d’une esthétique « alternative » ou « hipster », American Apparel a construit un catalogue d’exploitation adolescente. Des corps presque enfantins dans des poses explicites, le tout avec une esthétique maison.


Publicité American Apparel
Publicité American Apparel

7. Tom Ford – Campagnes de parfums (2007-2012)


Tom Ford a transformé le corps féminin en un panneau publicitaire de luxe. Des flacons de parfum entre les cuisses, sur des seins nus, ou tenus par des mains masculines. Sa notion de sophistication consistait à réduire la femme à un support de verre et de parfum.

Bien que cette campagne de Tom Ford ait été particulièrement polémique à l’époque, des exemples récents montrent que l’objectification du corps féminin dans la publicité est toujours très présente, comme on peut le voir dans cette analyse des publicités les plus sexistes de 2024 publiée par la Cadena SER.


« Tom Ford pour hommes ». Campagne publicitaire de parfums Tom Ford
« Tom Ford pour hommes ». Campagne publicitaire de parfums Tom Ford

8. BMW – « Tu sais que tu n’es pas la première » (2012)


Cette publicité parle soi-disant de voitures d’occasion, mais le double sens est clair : elle compare une femme à un véhicule usagé.

Ce n’est pas ingénieux. C’est du machisme emballé dans une ironie bon marché.

La publicité suggère que la valeur d’une femme, comme celle d’une voiture, dépend du nombre de « propriétaires » qu’elle a eus. Une vision dégradante qui perpétue la logique de la femme comme objet de consommation avec une date de péremption.

Qu’une marque comme BMW utilise ce type de message n’est pas provocateur, c’est simplement irresponsable. La publicité évolue, mais le sexisme, lorsqu’il se déguise en humour, a tendance à persister.


« Tu sais que tu n’es pas la première » (2012). BMW
« Tu sais que tu n’es pas la première » (2012). BMW

9. Dolce & Gabbana – Scène d’abus collectif apparent (2007)


Une femme allongée, immobilisée par un homme, tandis que plusieurs autres observent. Cette image, issue d’une campagne de mode, évoque visuellement une scène de domination sexuelle collective.

Le problème ? Ce n’est pas ce que le mannequin a consenti sur le plateau, mais ce que l’image communique. En publicité, on ne voit pas la réalité, on voit des symboles. Et celui-ci symbolise inégalité, soumission et violence esthétisée.

Il n’y a ni ironie, ni critique, ni contexte invitant à la réflexion. Juste une scène qui transforme la violence en langage de marque.

Ce n’est pas de l’art. C’est du marketing. Et lorsque, pour vendre un parfum, il faut représenter l’oppression comme quelque chose de désirable ou d’aspirationnel, ce n’est pas une provocation esthétique, mais une irresponsabilité visuelle.


Campagne publicitaire de Dolce & Gabbana (2007)
Campagne publicitaire de Dolce & Gabbana (2007)

10. Burger King – « Ça va te faire exploser l’esprit » (2009)


Une femme bouche ouverte, placée face à un hamburger dans un angle clairement phallique. Le texte vient parachever l’offense. Une publicité qui transforme la fellation en blague pour vendre de la restauration rapide. Du sexisme déguisé en humour, l’une des formes les plus lâches du machisme visuel.


« Ça va te faire ouvrir grand la bouche » (2009). Burger King
« Ça va te faire ouvrir grand la bouche » (2009). Burger King

Conclusion


Ces publicités ne sont ni des accidents ni des erreurs de calcul. Ce sont des produits délibérés d’une industrie qui, pendant des décennies, a su exactement comment manipuler les corps féminins pour vendre, renforcer les stéréotypes et perpétuer les hiérarchies. La photographie publicitaire n’a pas seulement été témoin du machisme, elle en a été une alliée active. Même si cela peut sembler appartenir au passé, la publicité actuelle continue de reproduire des stéréotypes sexistes, comme l’expose cet article de RTVE.


La critique ne peut pas être tiède face à de tels exemples. Il faut nommer, dénoncer et déconstruire ces images avec audace. Si nous voulons transformer la culture visuelle, nous devons comprendre que chaque image sexiste publiée sans conséquences est une porte ouverte à la normalisation des abus et des inégalités. La solution n’est pas la censure : c’est la conscience, l’éducation visuelle et l’éthique créative, comme le souligne très justement cette ressource pédagogique.


Car il ne s’agit pas seulement de mauvaises campagnes : il s’agit de la manière dont se construit l’imaginaire de la valeur d’une femme. Et pendant bien trop longtemps, cette valeur a été mesurée en chair, en soumission et en silence.


Réflexion finale : Objectification à l’ère numérique


Nous vivons à une époque où les frontières entre l’autonomisation et l’objectification sont plus floues que jamais. Les réseaux sociaux, les plateformes visuelles et la culture de l’auto-exposition ont donné naissance à une nouvelle dynamique : ce n’est plus toujours une marque ou un publicitaire qui objectifie, mais parfois la personne elle-même face à la caméra. Femmes et hommes publient des images qui reproduisent des esthétiques sexistes, en quête de likes, d’approbation ou de visibilité.


Personne en train de se filmer pour les réseaux sociaux
Personne en train de se filmer pour les réseaux sociaux

Ce phénomène n’est pas le fruit du hasard : c’est le résultat de décennies de conditionnement visuel, d’un imaginaire collectif qui a lié la valeur personnelle à l’apparence et à la sexualisation. Lorsque l’industrie cesse d’imposer certaines images, le marché les a déjà tellement intégrées que les individus les reproduisent d’eux-mêmes.


Il ne s’agit pas de critiquer l’expression corporelle libre, ni l’utilisation du corps comme outil artistique ou de communication. Il s’agit de questionner l’origine de ces décisions, les imaginaires qui les soutiennent, et de se demander si elles naissent réellement d’un désir personnel ou d’un regard que nous avons appris à faire nôtre. La culture visuelle actuelle exige plus que jamais une éducation critique à l’image, une réflexion profonde sur ce que nous montrons — et pourquoi nous le montrons.

 
 
 

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